Depuis 1962, les SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) régulent le marché foncier agricole français, d’une manière que d’autres pays européens nous envient 1. En 2016, le consortium industriel chinois Hongyang (équipementier pétrolier et firme de lait en poudre) a acheté 1700 hectares de terres agricoles dans l’Indre, en utilisant une faille de la règlementation qui permettait de contourner le droit de regard des SAFER. Les investisseurs ont demandé aux vendeurs de se constituer en « société agricole », et ont ensuite acheté 98% des parts sociales. Cette opération permet de supprimer tous les droits de regard. En effet, si la cession des parts sociales n’atteint pas les 100%, les actionnaires ne sont pas contraints de se manifester. Cette information-choc est la partie émergée d’un iceberg dans la mesure où les achats de terres agricoles par des personnes morales ont été multipliés par quatre en vingt ans et représentent aujourd’hui 13 % de la surface agricole utile (estimation SAFER). La spéculation sur les terres agricoles est peut-être moins choquante quand elle est le fait d’actionnaires européens mais elle n’en est pas moins dommageable pour la collectivité.
La loi Potier votée en février 2017 à l’unanimité, par la droite comme la gauche (Dominique Potier est agriculteur et député socialiste de Meurthe et Moselle) permettait de limiter ce type de spéculation financière. Elle prévoyait en particulier la création d’un nouveau droit de préemption des SAFER sur les cessions partielles de parts des sociétés foncières.
Malheureusement, le 17 mars, le Conseil Constitutionnel, saisi par une soixantaine de députés qui se sont ainsi désolidarisés du vote de leurs collègues, a jugé que ce contrôle du marché serait « attentatoire à la propriété privée et à la liberté d’entreprendre« . Cela se traduit par le fait que des rachats de terres agricoles pourront continuer sans le contrôle de la SAFER, à condition que les acheteurs (étrangers ou pas) soient majoritaires dans les sociétés. Ceci assure une certaine transparence mais ne résout pas le problème principal visé par la loi Potier, qui était pourtant bien prudente.
Terre de Liens a marqué sa position avec un communiqué de presse du 24 mars dernier : « La sociétarisation et la financiarisation de l’activité agricole empêchent aujourd’hui les SAFER de remplir leurs missions. TdL ne comprend pas en quoi rétablir le pouvoir de régulation des SAFER serait contraire à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen… Le monde dessiné par cet avis, où l’entreprise et la propriété individuelle priment sur le bien commun, n’est pas celui dans lequel TdL souhaite vivre. TdL appelle à ce que tous les moyens légaux soient mis en œuvre pour que le marché foncier agricole reste régulé en France… Nous appelons toutes les forces politiques à se saisir de la question pour que lors de la prochaine législature une loi foncière permettant de lutter contre l’accaparement des terres en France soit votée ».